Le carnaval de Binche est sans doute le seul d’Europe qui soit autant resté attaché aux anciennes coutumes. Il est réservé aux habitants masculins de la ville et se déroule tous les mardis gras. On voit alors une centaine de drôles d’oiseaux aux yeux verts et à la moustache bien entretenue défiler dans les rues de la ville de Binche. L'effet est saisisant.
LES TROIS VOYAGES DU GILLE
Le carnaval de Binche propose trois voyages au déroulement très codifié. Il constitut un voyage initiatique où après la phase de chaos propre à tout carnaval (Ré-création) vient la reconstruction (Re-création), le retour à l’autre.
Le premier voyage commence dans la nuit à 3 heures. Un tambourineur parcourt les rues de la ville d’un rythme lancinant et asymétrique. Il vient chercher tous les hommes ; les jeunes, les enfants en bas âge, les vieillards, de tous les milieux sociaux et politiques confondus. Toute la part masculine se regroupe et en longue file sort des remparts de la ville.
Les hommes reviennent au petit matin recouvert d’un masque de cire. Ils sont devenus des Gilles. Ils portent un Ramon, un petit fagot de noisetier et de saule qu’ils offriront à leur bien aimé. Ainsi commence la Re-création. La part masculine de l’univers rejoint la féminine pour recréer la fécondité.
Les hommes font tomber leurs particularités, leurs marques de distinction, leur masque sociétal pour ne plus en porter qu’un seul, le même pour tous ; un masque unique qui les unit dans un identique destin.
Au deuxième voyage, le Gille, ressorti de l’enceinte de la ville, revient en apportant la lumière symbolisée par des oranges. A l’origine les Gilles portaient du pain mais l’orange comme produit de luxe, l’a remplacé au XIXe siècle. Nos parents et grands parents ont connu l’orange offerte en étrenne à Noël.
Cette fois, c’est le mariage de la lumière avec le monde de la nuit qui permet d’enfanter de la nouvelle année. Les masques sont tombés mais le Gille porte une impressionnante coiffe composée de plus de 200 plumes d’autruche blanches et pesant jusqu’à 4 kilos. Tel Icare, il est maintenant capable de voler et de rejoindre la vérité du royaume des dieux.
Le troisième voyage a lieu le soir. Après un dernier tour complet de la ville, les Gilles rejoignent la Grande place qui s’embrase des feux d’artifice purificateurs. Le feu est symbole de résurrection et d’immortalité. Devant la mairie et en présence du bourgmestre, le Gilles, qui est maintenant un demi-dieu, entame alors le discours suivant :
"Je vous ai étonnés cet après-midi en vous apportant un fruit de la terre. Vous croyez que tout était mort, que l’hiver s’était installé pour toujours, mais nous en sortons de l’hiver, le printemps existe, vous ne l’avez pas encore vu, mais je vous l’ai prouvé en apportant un élément de végétation.
De la même façon, moi qui suis un initié, je vous apporte ce soir de cet autre monde le feu et je vous démontre ainsi la capacité transcendantale qui est la vôtre et votre don d’éternité."
UN CARNAVAL PROTÉGÉ
Le masque du Gille de Binche est unique, par son visuel inamovible qui correspond à la description rapportée dans un manuscrit du 18° siècle, mais aussi par sa méthode de fabrication en tissus et cire. Un artisan de Binche le fabrique depuis 1970 de la façon suivante :
"Il encolle trois carrés de toiles de coton de 40 cm de côté et les place entre deux moules. Deux blancs et un rose pour la couleur de la peau. C’est en les pressant à chaud qu’il lui donne sa forme définitive. Grâce à la colle qui fige la forme et la chaleur qui permet de sécher plus vite.
Une fois sec, il utilise de la peinture sur pochoir pour dessiner les moustaches de type Napoléon III, des favoris et des sourcils épais, de couleurs rousses. C’est à la main qu’il termine les retouches avec un geste précis et élégant. Et il termine avec les fameuses lunettes vertes pour donner au Gille un petit air intellectuel.
Le masque peint est plongé dans la cire, encore appelée paraffine, pour solidifier le masque et l’imperméabiliser (protéger le masque de l’humidité). Ensuite il prend un dernier bain dans l’eau pour faire briller la cire et lui donner son vernis exceptionnel. "
Les Binchois Wallons vouent une véritable passion à leur carnaval et y consacrent une grande partie de leur temps et de leur argent. Le déroulement des festivités obéit à un protocole très strict et une Association de Défense du Folklore (A.D.F.) veille à ce que les Gilles soient irréprochables. Dans la même idée, n'est pas Gille qui veut. Voici deux extraits des statuts de l'association.
"Le Gille est tenu de se comporter correctement, en respectant scrupuleusement sa danse et sa tenue, en proscrivant tout abus (boisson ou autres) afin de respecter les traditions.
Les cheveux ne depasseront pas de la barrette, les gants seront interdits et seule la moustache sera tolérée.
Pour se bourrer *, il n'utilisera que de la paille.
Le masque traditionnel se portera obligatoirement le Mardi Gras au matin, il devra obligatoirement être enlevé lors d'un arrêt de la société et non laissé sur le front."
* Le mot fait allusion au bourage du costume avec de la paille pour créer des bosses à l'avant et à l'arrière.
"Pour être présenté et éventuellement admis comme nouveau membre effectif dans une société de Gilles (...), il faut:
1- Être de sexe masculin.
2- Être de nationalité Belge (sauf dérogation accordée par la commission de l'ADF).
3- Être Binchois, c'est-à-dire : soit être né à Binche et y résider effectivement ; soit être issu en ligne directe de famille Binchoise et avoir été domicilié à Binche pendant trois années consécutives ; soit être né de parents domiciliés à Binche depuis deux années avant la naissance et y avoir été domicilié durant trois années consécutives ; soit êtrte fils ou petit-fils de Gille comptant cinq années de participation au carnaval de Binche dans les dix dernières années, ou fils d'ancien Gille ayant compté au moins dix participations ; soit résider effectivement à Binche depuis trois années au moins le Mardis Gras.
4- N'avoir jamais participé à un autre carnaval en tant que Gille ou Paysan après sa majorité.
5- Etre présenté à l'A.D.F. par les représentants de sa société."
La population Binchoise est très attachée à son Carnaval et le défend ardemment. Par exemple, en 2013, une affiche du caricaturiste belge Kroll en a fait les frais.
Pour illustrer une exposition du Musée du Carnaval et du Masque de Binche, il a eu l'idée de réunir deux vêtements iconiques en faisant porter à un personnage la blouse et la coiffe locale du Gille et en dessous (crime de lèse-majesté) l'internationale jupe de Maryline Monroe soulevée par le souffle de l'aération d'une bouche de métro.
L'affiche a été retenue, imprimée et finalement censurée par les autorités de la ville de Binche qui craignaient de choquer sa population en détournant de façon ironique l'emblématique costume. La caricature était jugée trop osée et nuisant à l'image du Gille.
Kroll déclarait : "Il est manifestement plus facile de dessiner le prophète Mahomet qu'un gille de Binche. Prenez le Roi, je le dessine en pantoufle et en robe de chambre: ce n'est jamais censuré."
Les Gilles de Binche • © BENOIT DOPPAGNE / BELGA / AFP
Le masque est blanc en toile de cire. Il est orné de lunettes vertes. Le visage est agrémenté d’une moustache, d’une barbichette et de favoris. La ville de Binche a déposé le modèle auprès de l’Office européen des Brevets en 1985. Ainsi, l’atelier Pourbaix est le seul à fabriquer les masques que les Gilles acquièrent par le biais de leur société carnavalesque..
Les costumes et les chapeaux n’appartiennent pas aux Gilles. Des entreprises spécialisées de Binche, appelés les louangeurs, les confectionnent et les louent.
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